« Il paraît que dans les années 60, des gamins s’amusaient à faire des percussions sur les poêles à charbon, dans les réfectoires des écoles. Et c’est comme ça que le jazz est né. Ici, à Seraing.
Lui, c’est Vanni. Il était là, à taper sur les poêles, avec ses camarades. Puis, Giovanni s’est mis à jouer de la musique avec des brins d’herbe. Et c’était tellement beau qu’on aurait dit de la trompette.
Parfois, François l’accompagnait avec son violon. C’est lui, là-bas. François, dans sa musique, il y met plein de lumière. Et la lumière, dans la musique, c’est des frissons. Lui, quand il joue, il s’en fout de comprendre l’œuvre. Mais si l’œuvre le comprend, alors il est content. Alors, il joue. Il fait vibrer ses cellules, au-delà des mots et des catégories. Il joue pour s’enfuir. Il joue comme si… Comme si… Enfin, il joue. Et c’est beau. Même si François dit qu’il n’est pas doué, mais juste un peu sensible.
C’est bizarre, Nunziata aussi, elle dit qu’elle n’est pas douée. Et pourtant, quand elle peint… Quand elle peint des personnages, Nunziata, on dirait des sculptures de Giacometti. Mais c’est pas de l’esbroufe : Nunziata, Giacometti, elle s’en fout. Elle ne sait même pas qui c’est. Son prénom, à Nunziata, il veut dire « messagère », en italien. Mais quand elle peint, ce n’est pas pour faire passer des messages. Elle peint parce que ça lui fait du bien. Et c’est tout. Nunziata, elle a peint au moins mille fois la Joconde, mais jamais de la même manière. Et tous les soirs, elle regarde le journal, à la télé. Et elle trouve la vérité tellement gravos qu’elle se demande si c’est vraiment la vérité. Alors, elle peint. Et ça va mieux. Elle peint des personnages comme ça… Tout longs, tout fins. Et même qu’on dirait des sculptures de Giacometti. Comme celles qui sont dans les musées.
Stanislas, lui, il trouve qu’exposer une œuvre dans un musée, c’est comme exposer son cœur : ça ne se fait pas. Mais parfois, il laisse quand même voir ses tableaux, si on a de la chance. Parce Stanislas, il aimerait bien faire passer des messages dans ses tableaux. Des messages d’espoir. Stanislas, il dit qu’il y a des moments tellement difficiles dans la vie, qu’on dirait que la lumière s’est éteinte pour toujours. Alors, il faut être patient. Et chercher, dans ses tableaux, les clés de la lumière. Comme celle qu’on entend, quand l’esprit touche à la matière, en passant par les mains. De Stanislas. De Nunziata. De François. De Giovanni ou de Vanni.
Et ce soir, à la balade des lumières, si on apprend à se taire assez fort, et si on approche son oreille tout près des sculptures de Giovanni, alors on peut entendre parler la terre. Et la terre, alors, elle a la voix de ceux qui ne sont plus là… »
Texte rédigé par notre camarade Miguel
